Le processus de deuil

Ou installer en Soi l'héritage du disparu

19 Février 2020

Deuil vient du latin « dolium » qui signifie douleur, chagrin. Une période de deuil est donc une période de chagrin consécutive à la disparation d’un être cher. Quoi de plus humain et naturel que de ressentir une profonde tristesse quand une personne qui nous est chère disparaît pour toujours de notre vie ? 

Dans une époque soumise aux injonctions de rapidité et de performance, le processus de deuil fait tache. Non, un deuil ne peut pas aller aussi vite que Google trouve un resto et non il n’existe aucune méthode pour le traverser plus rapidement. Une période de deuil est une longue période de transformation qui s’évalue en années.

En tant que thérapeute, nous pouvons accompagner une personne dans son deuil pour l’écouter dans son chagrin, accueillir ses émotions et l’informer et la guider sur les étapes de ce processus. C’est important, parfois même indispensable. Le deuil est sans doute devenu le seul moment de notre vie où nous n’avons pas d’autres alternatives que d’accepter de lui accorder le temps qu’il demande. 

Le deuil est un long processus qui nous fait traverser une succession d’états. Puisque c’est un processus, le deuil est un mouvement qui demandera au sujet d’accomplir des tâches. Bien évidemment, quand on perd un être cher, il y a une partie en soi qui restera blessée à tout jamais, mais par ailleurs, le deuil est le mouvement sinusoïdal qui nous mènera vers la capacité à être à nouveau heureux et investir sa vie.

Il existe dans l’espèce humaine un processus naturel, intelligent, spontané, inconscient et salvateur qui est le mécanisme de cicatrisation. Quand nous nous blessons, nous cicatrisons pour protéger le corps des infections. Une cicatrice se forme et restera à tout jamais, avec peut-être parfois des douleurs et des tiraillements à certaines occasions. La perte d’une personne qui nous est chère est une blessure du cœur. Le processus de deuil est un mécanisme de cicatrisation psychique qui va soigner cette blessure. C’est un processus éminemment inconscient qui consiste à accueillir notre peine et la mettre à sa juste place. A l’issue du deuil, il y a aura une cicatrice psychique indélébile qui pourra parfois être douloureuse quand elle entrera en résonance (dates anniversaire, Noël, lieu…).

L’objectif du deuil n’est pas d’oublier la personne mais de prendre soin de Soi tout en traversant le chagrin. Pour une personne disparue, il y a autant de liens émotionnels que de personnes endeuillées par sa disparition, et chaque personne n’a pas les mêmes besoins au même moment, d’où parfois un sentiment d’incompréhension, une difficulté à partager sa peine même avec ceux qu’on aime et qui vivent la même épreuve, et donc la nécessité de consulter une personne extérieure. Le deuil nous ramène au cœur de nous-même, ce qui nous éloigne des autres, et provoque ce sentiment de solitude infinie. L’aide et l’accompagnement que l’on reçoit dans ce moment-là est souvent vécue comme insuffisants et inadaptés…

L’évolution du processus de deuil est conditionnée par 3 points :

- Notre fragilité ou vulnérabilité au moment du décès : Le processus de deuil demande de la ressource psychique et physique pour métaboliser notre souffrance et notre peine.

- Les circonstances du décès : mort brutale, ou mort « attendue » et accompagnée

- L’histoire de notre relation avec la personne qui disparaît.

Qu’il s’agisse d’une mort brutale (AVC, accident, suicide, …) ou d’une mort « attendue » (maladie, dégénérescence, …) aura un impact sur la mise en place du processus de deuil. En effet, aussi douloureux et pénible soit-il que d’accompagner une personne en fin de vie, cette étape permet pour celui qui restera de mettre en place  un système de protection et de défense qui lui évitera de se sentir percuté par la violence du décès de la personne. En accompagnant une personne, on voit la dégradation de son état, on la voit cheminer vers la fin de sa vie : c’est une sorte de préparation qui nous permettra de vivre son décès davantage comme une séparation que comme une rupture.  

Dans le cas d’une mort violente telle que le suicide, l’accident, l’AVC, il n’y a pas de préparation, donc aucune anticipation n’a pu être faite pour esquiver la violence de l’impact et on vit l’épreuve comme une agression. On a le sentiment que l’autre nous est arraché. Dans ce cas, on peut avoir 2 états psychiques à gérer : la rupture du lien affectif avec la personne disparue (= mise en place du processus de deuil), et potentiellement un état de choc

Cependant l’état de choc post traumatique peut venir freiner, parasiter voire empêcher la mise en place du processus de deuil. Il est donc important, en cas de mort brutale, d’écarter un éventuel état de choc post traumatique (ECPT) pour permettre au deuil de s’installer. Les symptômes d’un ECPT sont visibles 3 à 4 mois minimum après le décès : images intrusives, cauchemars à répétition, sensation qu’un autre événement négatif va se produire, hyper vigilance, et évitement +/- conscient de tout ce qui nous relie aux conditions du décès. Dans ce cas, le recourt à un thérapeute est indispensable. Les outils les plus fréquemment utilisés pour lever les ECPT sont les Thérapies Comportementales et Cognitives et l’EMDR. Aucun médicament ne règle les ECPT. Lever l’ECPT ne diminue pas la souffrance du deuil, il permet juste de laisser le processus de deuil se mettre en place.

Le processus de deuil est jalonné par 4 étapes importantes qui nous demandent d’exécuter des tâches :

1- Reconnaître la réalité du décès : Les premières semaines on refuse la réalité « Je ne veux pas y croire », « Ce n’est pas possible ». Il existe une distance entre la réalité du décès de notre proche et ce que l’on souhaiterait : c’est une phase de déni. C’est cette distance qui engendre la souffrance. La première étape du cheminement du deuil est d’aller vers la reconnaissance de cette réalité. Cela ne signifie pas d’être d’accord avec et d’adhérer à ce qui est, mais simplement de ne plus faire résistance à la réalité et accepter de reconnaître ce qui est « Je ne suis pas d’accord mais il en est ainsi. »

2- Exprimer les émotions que l’on ressent : C’est une tâche très importante dans le processus. C’est très toxique de contenir et taire sa tristesse, sa peine, sa colère. Pleurer, crier, parler de la personne, de son décès, de ses obsèques, encore et encore permet de purger nos émotions. Revenir sur notre histoire avec la personne disparue use couche par couche la charge émotionnelle qui est notre chape de souffrance. Les émotions s’érodent par le récit que l’on en fait. C’est une avancée lente et répétitive qui demande de la patience et de l'empathie à celui qui écoute, d’où parfois la nécessité d’aller vers un thérapeute qui connait et accueille cette nécessité de parler encore et encore des mêmes choses, alors que nos proches sont las et peut-être même embarrassés d’entendre les mêmes discours. D'autant que nos proches, quand il s'agit de la famille, ont sans doute leur propre deuil à traverser, et ne sont pas toujours en capacité de nous aider à cheminer dans le nôtre. 

3- Mettre en place et maintenir un lien approprié avec la personne disparue : Quand nous étions en relation dans le monde des vivants, nous avions à l’autre une relation extérieure (l’autre est extérieur à moi), objective (l’autre existe bien en chair et en os) via nos 5 sens (on le sent, on l’entend, on le voit…). Mettre en place un lien approprié avec la personne défunte consiste à transformer la relation « vivante » décrite ci-dessus en une relation intérieure (à moi, donc intime), subjective (l’autre n’existe plus physiquement), et qui ne s’étaye pas sur les 5 sens. Il s’agit d’introjecter en soi le lien qui me reliait à cette personne disparue. Finalement, il n’y a pas de perte de la relation à l’autre, mais une transformation de la relation. On peut décider de porter un bijou ou un vêtement qui lui appartenait, mettre en place un mode de communication intime, des petits rituels, etc… Mais attention, ce nouveau lien original et strictement personnel ne doit pas entraver ou parasiter notre fonctionnement dans le monde, ni être imposé aux autres. 

Cette phase n’est pas simple. Fréquemment, c’est au bout de 10 mois que nous prenons vraiment conscience que l’autre n’est plus là et surtout qu'il ne reviendra jamais. On peut avoir le sentiment de perdre la personne à nouveau. Et alors qu’on pensait s'en sortir, il peut s’installer la certitude qu’on ne sortira jamais de cet état de tristesse et de manque. C’est normal, il ne faut pas oublier que le deuil est un processus qui nous emmène de façon sinusoïdale avec des moments hauts de mieux-être et moments bas ressemblants à des vécus dépressifs (un vécu dépressif n’est pas une dépression).

4- Ré-investir le monde et vivre : Puisqu’on a construit à l’intérieur de soi un lien intime et singulier avec la personne disparue, la violence et la souffrance de la perte ont fini par s’apaiser, voire se taire. Plutôt que d’être agressé et malmené par la souffrance de la perte, on parvient à discerner et entendre la douceur du souvenir de la personne. La personne est en nous, subjectivement, inconditionnellement et de façon inconsciente. Son image ne nous obsède pas, mais quand on veut penser à elle, on l’appelle en soi et elle est là. Puisque nous nous sommes reconstruits suite à l’épreuve de sa disparition, cela signifie que nous ne sommes plus la même personne qu’avant. En effet, un deuil nous transforme : nous avons intégré en nous l’héritage de la personne disparue. En son nom, nous sommes capables de faire des choses : écrire un livre, penser autrement, s’engager dans une association... Le processus de deuil nous a fait gagner quelque chose.

La souffrance que nous ressentions était strictement due à la perte de la relation objective et concrète que nous avions avec l’autre. Le processus de deuil vise à rééquilibrer cette perte en installant en nous l’héritage du disparu, qui est un lien plus subtil, intime et subjectif avec cette personne. Le temps nécessaire pour passer de la souffrance à l'apaisement est de 12 à 18 mois minimum.

Cet article est inspiré de la conférence de Christophe Fauré au sujet du deuil et de son livre « Vivre le deuil au jour le jour ».