Hygiène de l'esprit

C'était quand votre dernière douche ?

09 Juillet 2019

L’hygiène corporelle telle que nous la pratiquons aujourd’hui est relativement récente. Pendant des siècles, le manque d’hygiène a été la cause des épidémies, maladies et de la courte espérance de vie. Et si, de la même manière, notre défaut d’hygiène psychique était aujourd’hui la cause de nos conflits, dépressions, burn out et autres incapacités à relationner ? Et si, avec l’entrée dans les mœurs du développement personnel, de la psychothérapie, de la psychanalyse, de la communication non violente, nous découvrions les vertus d'une correcte hygiène psychique ?

Jusqu'au Moyen Age, la notion d'hygiène n'existe pas vraiment. C’est seulement à partir du Moyen Age qu'apparait le linge de corps qu’on change une fois par mois. Progressivement va émerger le lavage (à la rivière !) du visage, des mains et des pieds. Evidemment, il y a, à cette époque, une forte tolérance aux mauvaises odeurs. Au XVIème siècle, c’est davantage la propreté de l’habit qui compte. C’est Montaigne, le premier, qui commentera ne pas supporter la sueur sur son corps. Au XVIIème siècle, la toilette reste minimaliste mais les plus nantis changent de vêtements jusqu’à trois fois par jour et abusent des poudres et parfums qui masquent crasse et mauvaises odeurs. La propreté favorise quasiment que l’apparence. On ne se lave les aisselles et les parties intimes qu’à partir du XVIIIème siècle. Les salles de bain ne sont arrivées systématiquement dans nos maisons et appartements qu’à partir des années 1960 ! Je me souviens qu’enfant, dans les années 1980, on se lavait quotidiennement en faisant une toilette de chat (lavabo et gant de toilette) et on ne prenait un bain qu’une fois par semaine ! Aujourd’hui la plupart d’entre nous prennent une douche quotidienne. Si aujourd’hui un français sur cinq choisit de se laver que tous les 2 jours, nous avons acquis globalement des habitudes quotidiennes d’hygiène de notre corps (douche, brossage de dents, lavage de main…) dont nous ne remettons pas en question la nécessité. 

Mais qu’en est-il de notre hygiène psychique ?

Puisque nous sommes un corps et un esprit, où en sommes-nous quant à l’entretien et au soin apportés à notre psychisme ? Lui aussi, il est mis à rude épreuve durant la journée, il s’éreinte, transpire, se salit, brasser par les émotions, les sollicitations, informations, et à chercher les solutions et réponses adéquates.

Imaginez que ce Samedi après-midi, vous nettoyez et rangez le garage de fond en comble. Et ce soir-là, votre voisin vous invite à dîner pour 20h. Allez-vous travailler dans le garage jusqu’à 19h55 et enchaîner directement en vous rendant chez votre voisin ? J’imagine qu’il vous semble normal et évident de prévoir le temps de vous doucher et de vous changer… Ça ne vous traverse même pas l’esprit d’envisager vous rendre directement chez votre voisin avec votre odeur de transpiration, la crasse sur vos mains et les toiles d’araignées dans vos cheveux…

Pourtant, que faisons-nous psychiquement quand nous sortons d’une journée de travail et que nous nous rendons directement à la sortie de l’école récupérer les enfants, puis à la maison retrouver notre compagnon ? Notre psychisme a travaillé toute la journée (= nettoyer le garage) et nous ne lui offrons aucun répit, aucun nettoyage avant de relationner avec ceux qu’on aime. Pourtant ne nous serait-il pas profitable à nous et à nos proches, de prendre le temps d’une petite douche psychique* avant de se présenter à eux ?

La plupart du temps, on reste dans l’inconfort de la journée (colère, angoisse, surmenage = saleté et transpiration) et on s’offre à ceux qu’on aime dans cet état. Est-ce vraiment un moment profitable et qualitatif ? Est-ce la plus belle version de nous que nous leur proposons là ?

De la même manière que pendant des siècles le manque d’hygiène quotidienne a eu incontestablement des conséquences sanitaires désastreuses (maladies, épidémies, …), le défaut d’hygiène psychique est la source de la plupart de nos conflits, addictions, dépressions, burn-out, … Existe-t-il une seule mécanique qui puisse fonctionner perpétuellement et inconditionnellement pendant 80 ans sans révision, maintenance, huilage, ajustage, par un spécialiste ? Le cerveau n’est pas mieux que la plus fiable des mécaniques !

Mettre un peu d’hygiène dans son psychisme consiste à prendre des petites pauses d’intériorité (c’est à dire sans écran, ni écouteurs !) pour retourner au calme (= propre). Ça peut être 15 minutes de route si vous vivez à la campagne (route calme, sans radio ni appels téléphoniques : pas dans les bouchons !), ou une pause de 10 minutes dans la nature ou même dans la chambre en arrivant. Simplement, prendre le temps de faire un (très) court mais (très) vrai break pour ensuite entrer plus propre dans la prochaine relation.

C’est exactement ce à quoi je procède entre 2 rendez-vous. Mes rendez-vous durent 1h30 et je les fixe toutes les 2h pour être assurée de trouver au moins 10 ou 15 minutes entre deux patients pour une petite douche ! (psychique).

Quand pendant des années on a été négligent sur l’hygiène de sa bouche, qu’on a mâchouillé des chewing-gums à la menthe en se disant que ça lavait les dents, on ne s’étonne pas de devoir aller à un moment donné souvent chez le dentiste pour réparer les dents malmenées et dégradées. Garantir la pérennité de sa dentition ne passe-t-il pas par une bonne hygiène dentaire (brossage de dents et fil dentaire) et un détartrage annuel chez le dentiste ?

Il en est de même avec notre esprit : Je crois que nous sommes à l’aube de la prise de conscience de la nécessité d'une hygiène psychique responsable pour se sentir mieux soi, et ne plus contaminer les autres de sa colère, de son angoisse, de son insatisfaction... Certains l’ont d’ailleurs déjà très bien compris. André Malraux ne prédisait-il pas « Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas. » ?


*J’emprunte l’image de la douche psychique à Thomas d’Ansembourg, dans sa conférence « Cessez d’être gentil, soyez vrai »

Bibliographie:
« Le Propre et le Sale - L'hygiène du corps depuis le Moyen Âge » de Georges Vigarello