L'état de stress post traumatique

Quand l'archivage ne fonctionne pas.

03 Janvier 2021

Quand on vit un événement soudain, inattendu et sidérant pour lequel nous n’étions pas préparés, trois réactions sont observables : faire face sans se laisser posséder par ses émotions, fuir, ou rester figé. 

Personne ne peut présager de sa façon de réagir face à un événement fulgurant, ni de pronostiquer à quel point cet événement l’affectera ensuite de sa vie. En effet, comme le décrit le film "Fragments" de Rowan Woods (2007) nous ne sommes pas tous égaux face au traumatisme. Selon le moment de la vie à laquelle on vit cet événement, on se sent plus ou moins vulnérable et impuissant : être un enfant, une femme enceinte, une personne en situation de handicap, une personne âgée, être affaibli moralement par des faits antérieurs (séparation, perte d’emploi, deuil…). Ce sont l’intensité et la fulgurance de l’événement associée à l’état de vulnérabilité du sujet qui le vit qui vont définir si l’événement deviendra un trauma ou un banal souvenir.

10 à 20% des sujets vivant des événements sidérants développent un état de stress post traumatique

De quelle manière le souvenir d’un événement traumatisant s’inscrit-il dans la mémoire ? 

Dans quelles mesures les émotions vécues au moment du fait influencent-elle ce souvenir ?

Un événement traumatisant modifie notre mémoire. Les victimes, et en particulier celles ayant souffert de la situation, n’ont pas toujours la capacité immédiate (et qui peut durer plusieurs années) de raconter ce qu’elles ont vécu. Il s’agit ni de mauvaise volonté, ni de mauvaise foi de leurs parts. Affecté par l’événement traumatisant, le système adaptatif du traitement de l’information géré par notre cerveau cognitif et qui fera revenir le souvenir, dysfonctionne.  

En effet, la peur sidérante modifie nos perceptions. Lorsque nous sommes avertis du danger par nos cinq sens, notre cerveau reptilien (celui que nous avons en commun avec les animaux) court-circuite le cerveau cognitif, et prend le contrôle : nous basculons en « mode survie », notre corps va réagir instinctivement et nous allons même perdre toute notion de temps. « Notre corps se transforme immédiatement en une machine à attaquer ou à fuir... » explique le Professeur Jean François Demonet, Neurologue et Directeur du Centre de la Mémoire de Lausanne en Suisse. Sous l’effet de la peur, la réaction hormonale associée à la réaction nerveuse engendrent une activation physiologique : accélération du cœur, transpiration, tremblements, muscles en tension, …  Parallèlement notre capacité à raisonner et l’ensemble de nos fonctions cognitives sont complémentent bousculées. Le processus de mémoire faisant partie des fonctions cognitives, par conséquent il va être altéré.

Cette réaction instinctive libère dans le corps 2 hormones, appelées les hormones du stress : le cortisol et l’adrénaline. Elles sont produites naturellement par le corps en état d’alerte et sont indispensables pour réagir au stress de manière idoine. Elles permettent sur le moment de décupler notre force physique, mais aussi nos performances et notre résistance à l’effort et la douleur. On peut être capable, par exemple, de courir le 100m en moins de 10 secondes. Mais, en même temps que d’être utiles pour notre survie, elles ont un effet délétère sur le cerveau en l’empêchant de gérer l’événement dans sa dimension rationnelle. Le système adaptatif du traitement de l’information, celui qui enregistre le souvenir de façon « inerte », se trouve hors jeu et le souvenir traumatique va être fixé dans notre mémoire avec les émotions ressenties (peur, colère…), les pensées négatives produites sur le moment et les réactions physiologiques du corps (tremblements, sudation, augmentation du pouls…). Le souvenir de l’événement traumatisant devient toxique puisqu’il n’est pas inerte, mais un souvenir « vivant ». 

L’enregistrement du souvenir dans notre mémoire est assuré par l’hippocampe pour le côté factuel (la scène vécue), et l’amygdale pour le côté émotionnel associé (= 2 revers d'une même médaille). Avec le temps, les émotions des événements vécus sont censées se polir, s’atténuer, et le souvenir s’adoucira et s’estompera. Or dans le cas d’un état de stress post traumatique, l’amygdale et l’hippocampe n’ont pas pu traiter correctement l’événement, en conséquence le souvenir se sclérose avec les émotions associées qui gardent toute leur intensité, et peuvent ressurgir à n’importe quel moment quand le cognitif baisse la garde (nouvel événement perturbant, prise d’alcool, de drogue, fatigue, posture où on se sent en vulnérabilité…). C’est ce qu’on l’appelle la reviviscence traumatique. Toute la terreur, la détresse, et les réactions viscérales et somatiques sont intactes et escortent systématiquement les images du souvenir. Ce qui signifie que convoquer le souvenir veut dire revivre la scène jusque dans sa chaire puisqu’on ressent les émotions et les réactions physiologiques du moment de manière intacte.

Notre organisme a la capacité de résorber naturellement les « petits traumas ».  D'ailleurs les "petits traumas" sont les briques de l'expérience et le terreau de la sagesse. Quand on vit un "petit trauma", on fait quelques cauchemars, on ressent le besoin de raconter son histoire inlassablement, on y pense, repense, on imagine et on partage ce qu’on aurait pu faire pour éviter ce qui est arrivé, bref on évacue l’énergie produite par les fortes émotions de l’événement. Au bout de quelques jours, on se sent plus apaisé et on a tiré une leçon de ce qu’il nous est arrivé : nous sommes parvenu à rationaliser l’événement, il est devenu un souvenir, désagréable certes, mais inerte. 

Si le stress aigu et la reviviscence ne s’atténuent pas naturellement dans les 3 mois qui suivent l’événement, il est important de se faire aider. L’état de stress post traumatique est repérable par 3 symptômes :

- L’évitement : on tente de ne pas se souvenir de l’événement : on refuse d’en parler, d’en gérer les conséquences, on refuse de voir des personnes, des lieux, des choses qui pourraient faire écho à la situation.

- L’état d’alerte : le sentiment que la situation peut recommencer d’un moment à l’autre, sursauter au moindre son, développer une hypervigilance, bouleversement émotionnel (agressivité inappropriée, grande tristesse…)

- Les images intrusives, flash-back, cauchemars induisant à la longue des problèmes de sommeil, d’endormissement, et installant une grande fatigue.

Un état de choc post traumatique est comme une fracture de l’âme, s'il n'est pas résorbé, il peut entrainer le sujet vers la dépression. Si cette fracture est particulièrement douloureuse pour celui qui la vit dans son intériorité, elle est invisible de l'extérieur, par nos semblables. Les solutions chimiques et médicamenteuses peuvent apporter du confort au sujet en couvrant les symptômes et apportant ainsi du répit dans la douleur, néanmoins, elles ne dissolvent pas l’état de stress post traumatique. Les médicaments rétablissent artificiellement par la chimie une illusion d’équilibre psychique que le sujet ne parvient pas à recouvrer réellement et naturellement à cause de cette fracture. 

Des thérapies comme l’EMDR ou la thérapie de la reconsolidation (Méthode Brunet) ont fait leurs preuves pour régler les états de stress post traumatiques. Leur point commun : inexorablement retourner dans l’événement traumatisant et son cortège d’émotions désagréables, de pensées négatives et d’activation physiologique perturbantes pour reprendre le dossier à la base et procéder au travail correct d’archivage qui n’a pas pu être fait naturellement au moment des faits.


Article inspiré par l’émission « Vivre après une événement traumatisant - Dans la tête d’un rescapé » - RTS

Bibliographie sur le sujet: "Guérir le stress, l'anxiété et la dépression sans médicaments ni psychanalyse" de David Servan-Schreiber